Les aventures idéales de Robert & Joanie

Il va de soi que je ne détiens pas les droits des photos, qui ne sont là que pour initier mes petites divagations

Épisode pilote


Joanie avait récupéré une des huit versions de Love Is Just A Four Letter Word au fond de la corbeille à papier de Robert et l’avait enregistrée sans lui en parler. « – Pas mal, cette chanson. Qui a écrit ça ? » demande Robert en l’entendant à la radio. « – C’est toi, andouille ! »
Joanie aurait bien aimé qu’il parlât de son interprétation, ou qu’il se déjugeât sur l’intérêt de cette chanson.
Elle pouvait toujours courir.

Épisode 1
Notre grand feuilleton de l’été,
ROBERT, LE POÈTE DE L’EXTRÊME !


Nouvel épisode. Aujourd’hui : Petite Leçon de Guitare Sommaire
« – Regarde, Robert… Attends, je mets mes lunettes, faut que je m’applique… Tu vois, ta chanson, là, elle est pas mal… Mais si tu la joues comme ça… Là, tu vois ?… C’est plus joli, non ? Qu’est-ce que tu en penses ?
« – T’es mignonne, Joanie, mais j’m’en tamponne le coquillard. J’ai un orchestre, maint’nant. Y jouent bien plus fort que moi, j’peux jouer aussi mal que j’veux. »
(Vivement un nouvel épisode, plein de joie, de sexe, de métaphores et de fureur.)

Épisode 2
LES TRÉMULANTES AVENTURES SEMI-PLATONIQUES DE ROBERT & JOANIE


« – ‘Tends, ‘tends, t’vas voir, j’leur fais le coup du sifflet à couleurs.
– Non, Bobby, on avait dit pas le sifflet à couleur, pas aujourd’hui.
– Si, si… T’vas voir… Trîîîîîîî !
– Oui ? Et ?…
– P’tin, les cons, y z’ont rien vu… Y sont complètement dyschromatoptiques.
– Hihihihihi…
Vivement un nouvel épisode des aventures trémulantes.

Épisode 3
Les épisodes des
PÉTARADANTES ET ZYGOMATIQUES AVENTURES DE ROBERT & JOANIE
se suivent et ne se ressemblent pas.


« Bon sang, se disait Joanie, quand je pense que Robert a écrit cette merveilleuse chanson pour essayer de sauter cette pétasse anorexique de droite férue d’astrologie, ça me fait mal au sein. »
Naturellement, l’expression « au sein » signifiant à l’origine « au milieu de l’intérieur », Joanie ne faisait en aucun cas référence à sa propre poitrine, qui, d’ailleurs, ne faisait pas référence non plus. D’autant qu’elle s’exprimait la plupart du temps en anglais.
Joanie, pas sa poitrine.

Épisode 4
LES TRIBULATIONS ATTENTATOIRES DE ROBERT ET JOANIE


Pendant des années, et jusqu’à la fin de leur mort, Robert et Joanie se retrouvèrent occasionnellement. Chacun trouvait bien à redire sur les choix vestimentaires de l’autre, mais après tout, qui sommes-t-ils pour juger de ceci ou de cela alors que des petits enfants meurent un peu partout dans le monde (mais surtout chez les autres, s’il vous plaît).
Bientôt, d’autres épisodes en voiture, à cheval ou dans les bois.

Épisode 5
NOUVEL ÉPISODE
DE JOANIE & ROBERT, AVEC
DU SUSPENSE ET DES AFFICHES MILITANTES DEDANS


Pendant leur folle jeunesse, Robert et Joanie parcouraient les routes étasuniennes pour chanter, trainer dans des chambres d’hôtel, lutter contre le conformisme rampant, fumer des cigarettes rigolotes et changer une ampoule aussi, par ci par là.
Parvenus au bout de leur course sans fin, epuisés, à bout de nerfs, dégoûtés d’eux-mêmes et l’un de l’autre, ils se séparèrent sur un quai de métro, non sans faisèrent bien gaffe à pas se mélanger les valises.
«Go, go, Joanie, dit Robert. Be good.» Le petit Robert avait des lettres et ne pouvait jamais s’empêcher de le faire remarquer. C’est ça qu’énervait Joanie suprêmement, des fois. Elle lui répondit par un silence assourdissant.
Bientôt un autre épisode, et c’est tant mieux.

Épisode 6
LES AVENTURES INCOMPLÈTES DE ROBERT & JOANIE, SANS JOANIE


Désemparé, meurtri, séparé de Joanie pour une période in(dé)terminable, Robert regardait la pluie tomber dans son dos sur le sillon de Saint Malo.
La violence de cet épisode, réservé à un public averti, me porte à vous conseiller l’usage de lunettes à haute protection UV.
Vite, un épisode de Robert & Joanie avec Joanie.

Épisode 7
LES AVENTURES GRIMAÇANTES DE JOANIE SANS ROBERT


Tout un chacun-chacune disait sans arrêt à Joanie: ben, où qu’il est, Robert? Alors, ça allait bien comme ça, non mais. Y a pas que le sexe et la musique dans la vie, non plus… Si?
Bientôt, des aventures de Robert et Joanie avec des choses dedans.

Épisode 8
LES AVENTURES PAS TRÈS AU POINT DE JOANIE & ROBERT


« – Mais si, enfin, on avait dit qu’on essaierait.
– Non, Robert, je veux pas, je vais encore être toute floue.
– Alleeeeez, quoi…
– …
– Tu vois ! J’t’avais dit.
– Bah, on s’en fout. T’es toute floue. Et alors ? »

Épisode 9
LES AVENTURES LITTÉRALES DE ROBERT & JOANIE


« – Soit pas triste, Robert. J’aime pas quand t’es triste, c’est comme si on avait mangé trop vite et qu’on avait le ventre ballonné, quand on est triste.
– Non, mais non ! Chuis pas triste, mais j’essaie de trouver la chute pour cette foutue chanson et… Je sais pas, on dirait que j’ai pas envie de la finir.
– Comment elle s’appelle, ta chanson ?
– Le rêve de Robert.
– J’te laisse entrer dans mon rêve si tu me laisses entrer dans le tien.
– … Tu… Te… Mais, Joanie, euh… C’est moi qui trouve des fins aux chansons, normalement, euh… Comment te dire…
– Bon, c’est vrai qu’elle est bien ta phrase mais, euh… faudra que je te verse des droits d’auteur, ou… »
I’ll let you be in my dream if I can be in your dream
(Bob Dylan’s Dream)

Épisode 10
LES AVENTURES AÉRIENNES ET LÉVITATOIRES DE ROBERT & JOANIE


Chacun fermement campé sur son Quant-à-Soi, quoiqu’entremélés légèrement sur le côté, Robert et Joanie contemplaient l’étendue infini du champs des possibles. Ils avaient pris l’habitude de ce rendez-vous épisodique, et auraient été bien en peine d’y renoncer.
À chaque visite, le champs semblait s’étendre, comme si ce foutu horizon voulait les narguer.
« – Mais non, mais je me moque pas de toi, Robert. C’est le gros Possible qui sautille, là, dans le fond. Il me fait rigoler. »

Interlude


En raison d’une bête sortie de route et d’une crevaison intempestive, l’épisode d’aujourd’hui de ROBERT & JOANIE n’a pas pu être diffusé. Nous nous en excusons auprès des acteurs et de notre public et espérons tous vivement un PROCHAIN ÉPISODE.
Le responsable auprès du délégué de production.

Épisode 11
LES AVENTURES DÉCALÉES
DE ROBERT & JOANIE


Quand Joanie reposait sa tête sur l’épaule de Robert, qu’il jouait doucement de la guitare, elle pouvait s’assoupir et, d’une traite, sans heurt, malgré cette position inconfortable, aligner 9 à 10 heures d’un sommeil réparateur.
Robert n’en pouvait plus, parfois, non pas de ce poids sur son épaule, mais de répéter à l’envie ces arpèges délicats qui plaisaient tant à Joanie. Quand, après 9 à 10 heures c’était son tour de s’endormir, les doigts en sang, il n’était pas rare qu’une larme coule doucement de son œil fatigué.
De l’autre, aussi.

Épisode 12
LES AVENTURES DÉSERTIQUES DE ROBERT & JOANIE DANS LE CHAMPS DES POSSIBLES


Depuis trois jours qu’ils roulaient ainsi, les troupeaux de possibles se succédaient à l’horizon. Tantôt, un jeune Cornu égaré, posté le long de la piste, les regardait passer, possiblement impassible. Joanie se laissait toute entière absorber par leur contemplation. Robert savait qu’il pourrait rouler tout droit sans se préoccuper d’atterrir dans le fossé tant que le champs des possibles resterait ouvert. Et le champs des possibles s’étendait à l’infini.
Ils finiraient bien par croiser une route ou un chemin. Celle-ci ou celui-là serait alors sinueux ou rectiligne, cahoteux ou lisse comme un billard et, comme toute chose en ces parages, s’étendrait à perte de vue.
Quoi qu’il en soit, Robert n’en avait cure. Il roulait. Joanie rêvait. Les possibles abondaient.

Épisode 13
LES AVENTURES DE ROBERT & JOANIE À LA RECHERCHE DE L’AMANT PERDU


« – Eh, tu sais, Joanie, euh, le type que tu cherches…
– Oui ?
– Ben, c’est c’est pas moi.
– Haha ! Ben, oui! Bien sûr ! T’es juste devant moi ! Pourquoi je te chercherais ?
– Non, non, mais… Tu sais, le type qui ferme les yeux, le type qui ferme son cœur… Celui qui mourrais pour toi, ou plus si affinités… Là, regarde, derrière la fille blonde avec un bandeau et une robe longue, là…
– ?!?…
– C’est lui, j’suis sûr qu’c’est lui. Regarde bien.
– T’es con, hein. T’es vraiment con.
– Non, c’est pas lui ? Ah, merde, pourtant, j’aurais juré… »
You say you’re looking for someone
who will promise never to part
Someone to close his eyes for you, someone to close his heart
Someone who will die for you and more
But it ain’t me, Babe,
No, no, no, it ain’t me, Babe,
It ain’t me you’re looking for, Babe.
(It ain’t me, Babe)

Épisode 14
LES AVENTURES EN DÉRAISON

DE ROBERT & JOANIE


À explorer le champs des possibles, Robert avait fini par découvrir un moyen fort simple et malheureusement indescriptible de passer d’un univers à l’autre.
Je devrais dire les Roberts, parce que ce moyen impliquait que, partout dans les univers, un Robert changeait de crèmerie en même temps que l’autre (les autres).
Et dans chaque univers, il y avait Robert & Joanie. Avec des variantes, bien sûr. Les plus notables étant Johnny et Roberta, Joanie & Roberta, Johnny & Robert. Il y avait même un univers depuis longtemps séparé du nôtre où l’entité dominante était un être vermiforme non sexué se reproduisant par parthénogénèse. Joanbert y était présent aussi.
Ayant démontré, à son seul usage, l’inéluctabilité de Joan & Robert, Roberts retourna chacun dans son univers. Ou au moins, chacun prétendit l’avoir fait. Joan, qui ne s’était pas vraiment rendu compte de la différence (mais comment l’en blâmer ?) s’écria : « Robert, regarde plutôt la route! Tu vas nous fiche dans le fossé ! »
Le fossé ? Quel fossé ?
Non, mais je vous le demande : quel fossé ?

Épisode 15
LES AVENTURES PARALLÈLES
DE JOHNNY & ROBERTA


– Tu as changé, Johnny, tu n’es plus le même. La situation s’est inversée.
– Si j’ai changé et que la situation s’est inversée, nous voilà revenus au point de départ.
– Tu peux bien jouer avec les mots, cher Johnny. Après tout, c’est peut-être ce que tu fais de mieux. Ces fleurs que tu m’as offertes, elles sont déjà fanées.
– Un jour, je le sais, Roberta, tu prétendras même que c’est toi qui les as payées. Pour une raison qui m’échappe, nous ne sommes plus nous-mêmes, et la situation s’est inversée.
– Ce qui nous ramène au point de départ.
– Je t’en prie, ne joues pas avec les mots.
Serait-ce déjà l’épisode final ? Vous le saurez en lisant le prochain épisode.

Épisode 16
LES AVENTURES INTERMITTENTES DE ROBERT & JOANIE DANS LE CHAMPS DES POSSIBLES


Bien qu’il eût censément, comme l’on dit vulgairement, les clefs du camion, Robert savait qu’il n’avait guère le choix de la direction à suivre. Un coup de volant trop à gauche, et le Quant-à-Soi* verserait dans le cours de la Vie, fleuve tumultueux et imprévisible s’il en est (quoiqu’on dise). Un coup de volant trop à droite, et les voilà qui se perdraient à nouveau dans l’Infinité des Possibles dont les hautes herbes masquaient jusqu’aux confins de leurs contours improbables.
Cela lui donnait un sentiment d’inconfort, lui qui aimait tant se croire maître de sa destinée. Cela lui donnait un sentiment d’incomplétude et d’immobilisme. Il n’aimait pas cela.
Certains jours, il eût voulu que tout fut simple comme aux premiers temps, quand l’Homme saisissait sa compagne par la crinière et la tirait

jusqu’à sa grotte sans se poser de cas de conscience.
* Quant-à-Soi : véhicule quantique à propulsion sexuelle.

Épisode 17
L’AVENTURE CAPITALE DE ROBERT & JOANIE

SUR LE BORD DE LA VIE


Ce matin là, les larmes ne coulaient pas sur les joues de Robert lorsqu’il se réveilla. Il repensa amèrement au dernier arrêt qu’il avait fait avec Joanie sur le Bord de la Vie.
« – Cette guitare que tu m’as donnée, Joanie, dit Robert, elle est merveilleuse.
– Oui.
– Dis-moi, est-ce qu’elle me fait chanter mieux ?
– Non, Robert, elle ne te fait pas chanter mieux.
– Est-ce qu’elle me fait jouer mieux ?
– Non, Robert. Elle ne te fait pas jouer mieux.
– Est-ce qu’elle est au moins capable de jouer toute seule ?
– Non, Robert. C’est une guitare. Tout ce qu’elle peut faire, c’est être une guitare. Elle est faite pour qu’on en joue. »
Robert se lève, empoigne la guitare par le manche et la fracasse contre l’arbre.
« – Robert, Robert, mais qu’est-ce que tu as fait ? La belle guitare que je t’avais donnée !
– Qu’est-ce que tu veux que je fasse d’une guitare qui ne fait rien de tout ça ?
– Mais, Robert, tu pleures ! Pourquoi pleures-tu ?
– Joanie, voyons, sois raisonnable. C’était ma seule guitare, et c’est toi qui me l’avais donnée. Pourquoi est-ce que je ne pleurerais pas ? »

Épisode 18
LES AVENTURES SCÉNIQUES DE

JOANIE & ROBERT BEAUCOUP PLUS TARD


« – Est-ce que je t’ai déjà dit qu’il n’y aurait rien de plus facile pour moi que de te voler un baiser ? Que si j’avais voulu le faire, je l’aurais fait ?
– Naaaan, Robert, arrête, c’est pas drôle, tu sais bien, je suis mariée, toussa toussa…
– Tiens, ben j’te parie, tu vas voir, je…
– Mais, Robert, mais t’es con, décidément ! Tu penses qu’à toi ! Ah, mais !
– Bon, ben, c’est pas la peine de faire tout ce cinéma, non plus. C’était rien qu’une toute petite tape, tu peux pas avoir aussi mal que ça !
– Imagine que tu m’aies touché les fesses, ce que t’aurais pris. »

Épisode 19
LES AVENTURES LACRYMALES DU FEUILLETON CONSIDÉRABLE DE ROBERT & JOANIE
(SANS JOANIE&ROBERT)
– On était beaux, Joanie.
– On était beaux, Robert.
– On était beaux dans la lumière, on était beaux dans la nuit. Pourquoi ça n’a pas duré toujours ?
– Oui, Robert, pourquoi ça n’a pas duré… au moins plus longtemps ?
– Parce que l’amour n’est qu’un foutu mot de cinq lettres ?
– Je croyais que tu ne ne te souvenais plus avoir écrit cette chanson là ?
– Je n’ai pas écrit cette chanson là. Je ne l’ai jamais terminée.
– Tu l’as terminée au moins huit fois.
– Je l’ai terminée plus de mille fois. Je ne l’ai jamais finie.
– Alors, tu dis que rien n’est fini tant qu’on ne l’a pas terminé mille fois ?

Épisode 20
L’AVENTURE SOLITAIRE DE
ROBERT & LES CLEFS DU CAMION


Chacun aimerait pouvoir couper aux scènes de rupture amoureuse, où l’un et l’autre affichent un sourire de façade en regardant ailleurs pour masquer qui sa douleur, qui sa gêne, qui sa colère, qui son soulagement. Qui tout à la fois.
Robert, pour sa part, avait flanqué le Quant-à-Soi dans le fossé d’un grand coup de volant (Le fossé? Quel fossé?) et rendu, comme on dit vulgairement, les clefs du camion à Joanie. Joanie, qui n’était plus qu’un point sur l’horizon.
Juché sur son triomphe, carburant à la gloire, aux amphétamines et à la coke, il observait d’en haut le Champs des Possibles. Ce n’était finalement guère plus qu’un pré-carré, un potager pour crooner fatigué amateur de tomates, une bande étroite de terre poussiéreuse le long du cours de la Vie.
Un jour, sans doute, beaucoup plus tard, Robert et Joanie se chercheraient dans les rues d’Honolulu, dans les herbes hautes, ou dans les yeux d’êtres aimés. Un jour. Beaucoup plus tard.
I’ll look for you in old Honolulu
San Francisco, Ashtabula
Yer gonna have to leave me now, I know.
But I’ll see you in the sky above
In the tall grass, in the ones I love
You’re gonna make me lonesome when you go
(You’re gonna make me lonesome when you go)